Problématique de séquence : Peut-on se construire sans héritage ?
FINALITES ET ORGANISATION
Dans cette séquence, seul(e) ou en groupe, vous allez travailler en autonomie. Cela veut dire que vous allez avoir un temps jugé nécessaire par vote enseignant pour accomplir une tâche.
Ici, votre tâche consiste à lire et analyser une œuvre littéraire selon un parcours de lecture prédéfini par votre enseignant.
Objectif final : En fin de parcours vous devrez rédiger une argumentation, dans des conditions d'examen. Celle-ci répondra à la problématique générale et sera en correspondance directe avec l'œuvre étudiée.
Pour être clair, si vous n'avez pas effectué la tâche, il sera très compliqué de réussir le devoir final.
Temps imparti :
9 heures en autonomie pour analyser l'œuvre,
2 heures : évaluation sommative en classe.
VOS DROITS :
1) Vous déplacer librement dans la salle, arranger les tables comme bon vous semble (groupe, individuel…). Vous avez donc le droit de discuter, etc...
2) Ne rien faire ou faire tout à fait autre chose.
3) Gérer votre temps de travail comme bon vous semble : une tâche est demandée en 8h00.
A vous de travailler en fonction. Cela en va de votre responsabilité. Cela vous permet de lire à votre rythme, de lire et relire ce que vous voulez, dans le sens que vous voulez. De plus, vous avez suffisamment de temps pour le faire.
VOS DEVOIRS :
1) A la fin des 8 heures de travail sur la séquence, le travail est considéré comme fini et nous passons à l'évaluation. Il y a donc du travail à effectuer pour tout le monde.
2) On garde une ambiance de travail dans la salle. On ne dérange pas le travail des autres ! Sinon, vous risquez de vous faire retirer les droits évoqués plus haut.
3) On fait très attention au langage qu'on utilise et au respect qu'il induit. Nous sommes dans une salle de classe et tout manquement peut vous être reproché.
4) Il est impératif de ramener ses affaires de travail à chaque heure de cours.
5) A la fin, remettre la salle comme on l'a trouvée au début de l'heure.
Capacités travaillées
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Comprendre comment une œuvre met en relation les expériences individuelles et les questions collectives.
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Collaborer
-
Maîtriser l'écriture d'argumentation. Problématiques possibles de l'épreuve du BAC :
- "Selon vous, notre identité est-elle nécessairement et uniquement liée à notre histoire familiale ou se nourrit-elle "aussi d’appartenances choisies ?"
- "Comment transmettre son histoire, son passé sa culture ?"
Attitudes
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S’intéresser à l’expérience d’autrui comme élément de l’expérience universelle.
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Exprimer les singularités de son héritage culturel dans le respect de l’autre et de sa culture.
TÂCHES A EFFECTUER
Lisez attentivement l’ensemble des extraits. Analysez chacun d’eux. Répondes aux trois axes d’étude proposés :
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En quoi cette œuvre littéraire peut-elle être qualifiée d’héritage familial ?
-
En quoi peut-on parler d’identité plurielle à propos de l’auteur ?
-
Comment Laurent Gaudé nous transmet-il une vision humaniste de la société ?
Pour rédiger vos réponses à chacune de ces problématique vous veillerez à bien respecter chacun des points suivants :

AIDES
Vous pouvez à tout moment demander des outils d’aide supplémentaires à votre enseignant.
Quelques conseils pour l’étude de chacun des extraits :
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Notez vos impressions ;
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Résumez le discours du narrateur ;
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Étudiez la langue :
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relevez les champs lexicaux dominants et justifiez leur emploi ;
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relevez des figures de style qui vous semblent représentatives de chaque extraits, et justifiez leur emploi (figures de style) ;
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relevez les temps dominants et justifiez leur emploi ;
-
relevez les registres littéraires et justifiez leur emploi.
-
LECTURE
Extrait 1
Je viens de terres brumeuses
Qui sentent l'odeur chaude des siècles,
La teinture et le houblon.
Je viens des terres que je ne connais pas,
Qui portent des noms à la mine rouge et aux oreilles écartées :
Hazebrouck, Bousbecque, Wervicq , Wattrelos,
Battues par les vents,
Et transpercées d'humidité,
Le Nord industrieux,
Qui embrasse la Belgique
Dans un parfum de labeur.
Le Nord industrieux qui sent le charbon parce qu'il a tant creusé, tant fouillé qu'il en a fait des montagnes,
Ces terrils à la mine sombre qui veillent sur les hommes avec un air de menace.
Tant de carcasses s'y sont usé les os dans des galeries noires qui étaient comme des bouches à avaler les destins.
Le Nord qui sent la poudre aussi,
Champ de bataille depuis des siècles.
Ce temps où l'on mourait au petit matin en armée bien rangée,
Le torse percé, le visage écrasé dans la rosée
A vingt ans à peine.
Pour les armées de l'empereur,
Ou pour défendre des tranchées.
Terres d'assaut, de fuites,
Terres de villes prises, reprises, bombardées.
Mon arrière-grand-père porte longue barbe.
Il se l’est fait pousser pour pouvoir passer en Hollande
Extrait 2
Les usines tournent
Et tout aurait pu durer.
Mais l’épouse, soudain, devient veuve,
Et les trois enfants pèsent plus lourd, au bout des bras. […]
Mon grand-père a huit ans.
Il serre fort la main de ses sœurs pour éloigner la peur.
Il sent peut-être déjà qu’ils vont quitter Roubaix.
Il sent peut-être déjà l’autre guerre qui approche,
Les mois qu’il passera dans la mine, STO1 sous l’Occupation.
Lui, le jeune homme de bonne famille,
Élégant,
La main sur le cœur,
Élevé avec le raffinement des dîners du monde.
Il ira dans la mine.
Elle souillera les ongles,
Lui fera respirer la mort,
La mine, dont il ressort hagard,
Les yeux cernés,
Avec une tuberculose qui le fait siffler comme un chat malade.
Je viens de cette mauvaise toux qu’il a ramené comme seul souvenir de guerre.
Que reste-t-il de ces mondes engloutis ?
La lampe à pétrole,
Seule relique de ses années d’obscurité,
Le banc de la maison de Roubaix
Et quelques photos où l’on voit l’élégance des silhouettes passées.
Je viens des années de sanatorium,
Les jours longs
A s’écouter de l’intérieur pour savoir si on s’en sortira.
La peur de cracher jusqu’à mourir,
La vacance,
Les lectures comme seule joie pour sauver de l’ennui.
Et la mélancolie.
Je viens d’un jeune homme qui comptaient les jours qui le séparaient de sa mère, de ses sœurs, des amours laissées
Et de ces terres du Nord qu’il avait peur d’oublier.
1. Service du Travail Obligatoire instauré par le régime de Vichy sous la pression des nazis en 1943.
Extrait 3
Je viens d’un monde qui sait ce que c’est de se tordre.
Et avec ça, en plus de la misère,
En plus du dos voûté,
Il y a la guerre.
Les hommes partent, les bombes tombent et l’ennemi approche.
Il faut partir.
L’exode, sur les routes de France,
On a marché avec la peur au ventre.
Mon père, nourrisson, braille en appelant le sein
Et dans ces charrettes surchargées,
La peur se sentait jusque dans les tétées.
Je viens de cette foule de couvertures, de sacs, de valises mal fermées qui se pressent en direction d’Orléans où l’on sera accueilli par l’oncle et la la tante.
Là-bas, si on y arrive, on retrouvera peut-être, aux côtés des cousins,
La joie simple de plonger dans les eaux de la Loire.
Je viens du chemin de fer et des vieilles locomotives à charbon.
Aimé et Marius suent sur des machines gourmandes qui demandent toujours qu’on les nourrisse à pleines pelletées.
Paris-Bâle,
Vie de cheminots taiseux,
Aux mains musclées.
On veille sur des camarades à qui on parle plus qu’à ses propres enfants.
Et il reste de ces vies un visage épais au nez de boxeur,
Et ce nom que je porte : Gaudé.

Extrait 4
L’Europe est née là,
De ces ruines que l’on a voulu transformer un jour en projet.
De ces douleurs qu’on a voulu panser avec la paix.
Je viens de ces terres qui se sont mordues si souvent comme dans un combat de chiens.
France, Angleterre, Allemagne, Italie, Espagne,
Vous vous êtes bâfrées,
Dévorant vos propres enfants.
L’Europe des femmes seules, penchées sur des champs trop bas,
Pleines du souvenir d’hommes qu’elles ne reverront passants
Ou qui reviendront cassés, défaits, à l’abandon.
Je viens de ce vieil abattoir que fut notre continent,
Jusqu’au jour où ce mot fut prononcé : Europe,
Dans l’espoir de faire taire les loups.
On disait Europe pour calmer sa propre envie de frapper.
On disait Europe pour rompre le cycle des vengeances.
Avons-nous oublié ?
Je viens de ces terres qui savent de quoi l’Europe les a sauvées.
Je suis fils de Monnet, Schuman et Spaak2.
L’Europe pour en finir avec un patriotisme aux mains rouges.
Pour en finir avec la fausse fleur au fusil et les vraies gueules cassées.
L’Europe
Qui, aujourd’hui, a des airs de vieille femme frileuse.
Chacun fait ses comptes,
Chacun se demande s’il y aurait moyen d’avoir un rabais,
Payer moins que celui d’à côté.
On veut bien ouvrir ses frontières si cela fait rentrer de l’argent,
Mais à tout prix les fermer devant les réfugiés.
L’Europe sans joie, sans élan, sans projet,
Comme un bâtiment vide.
L’Europe,
Et ma génération qui la croyait acquise
Sera peut-être celle qui l’enterrera.
2. Hommes politiques considérés comme les « pères fondateurs » de l’Europe.
Extrait 5
3. Villes du sud de l’Italie.
4.Capitale du Liban.
Je viens des terres où je suis étranger,
Des terres où je ne suis pas né,
Dont je ne parle pas la langue,
Et qui sont miennes,
Pourtant,
Parce qu’aimées.
Je suis né d’un regard posé sur la méditerranée,
Cette mer déchirée,
Qui fit toujours commerce de vases, d’huile, de vin,
D’esclaves,
De tout.
Et les mélanges, les musiques qui se mêlent,
Les miracles dans le mariage des formes,
L’aubergine et la tomate,
Les épices et le poisson grillé,
Sur les bords de la mer Égée comme à Tunis.
J’ai ses lumières en moi. […]
J’ai dans les yeux ce Sud.
Que je n’ai plus cessé d’aimer, de contempler,
Ce Sud qui m’est étranger
Et m’enivre.
Naples, Palerme3, Beyrouth4,
Il fait chaud,
Et les voitures règnent sans pitié sur les passants. […]
Tout est là, depuis toujours, l’argent,
La rivalité,
Les regards de couteaux
La nonchalance du crime.
Tout est là,
L’hospitalité,
Et les gestes vieux de berger.
Il y aura toujours en Grèce
Une plage humble, où se baigner,
Sans luxe,
Avec frugalité.

Extrait 6
5. Cette reine a ordonné en 1492 l’expulsion des Juifs d’Espagne.
6.Ville antique de Grèce.
7; Ville antique située en Sicile.
8. Ville de Tunisie.
L ’Europe et la Méditerranée.
Les deux saignent, hésitent et tremblent.
Je viens d’un combat permanent,
De sang et de lumière. […]
Le monde entier regarde l’Europe avec envie,
Elle seule ignore qu’elle est riche
Et s’enferme, peureuse,
Avec des hésitations de vieille égarée.
La Méditerranée a visage de cimetière.
Chaque jour on meurt en tentant de la traverser.
Depuis des siècles,
Chaque pays a connu ses réfugiés.
Grecs, Turcs, Algériens, Siciliens, pieds-noirs,
Ceux qui fuyaient l’Andalousie d’Isabelle la Catholique5,
Ceux qui partaient en Israël,
Les libanais.
Je viens de cette foule pressée par l’Histoire,
Mais du Temple de Delphes6, aussi,
De la grâce de Ségeste7,
Et du silence du cimetière marin de Sidi Bou-Saïd8.
Je suis fils de blessures, de contractions
Mais de la vigne et de l’olivier.
Nous sommes vieux comme le monde,
Héritiers de villes rasées, de peuples en mouvement,
Du désir fou de bâtir pour l’éternité,

Banksy, Le radeau de la méduse, 2015
D’offrir des temples, des statues, à ceux qui nous suivront.
Nous sommes les fils de l’incendie.
Et notre devoir est de contenir les flammes.
- Chaque fois, le même combat renouvelé -,
Les soutenir,
Pour qu’elles rayonnent
Plutôt que de tout brûler.
FIN
Laurent Gaudé, De sang et de lumière, Actes Sud, 2017.