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Parcours de lecture - Gaël Faye, Petit Pays

Choisir la violence ?
RESUME

Gagnée par la folie, Yvonne, la mère de Gabriel s'est enfuie de la maison. Alors que la violence fait rage dans la capitale, Gabriel accompagne ses amis pour défendre son quartier suite à l'assassinat du père de son ami Armand. Un gang tutsi a capturé un homme hutu accusé d'être l'un des assassins. 

Document 1. Extrait du chapitre 29

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Chapitre 29Gaël Faye
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    Après l’avoir attaché, les hommes l’ont porté dans le taxi. Le chauffeur à la cicatrice a pris un bidon d’essence dans le coffre et en a versé sur les sièges de la voiture et sur le capot avant de fermer les portières. L’homme hurlait sans s’arrêter, terrifié, nous suppliant de l’épargner. Innocent, l’ancien chauffeur du père de Gabriel, a sorti un briquet de sa poche. Il le tend à Armand, et lui dit :
    – Si tu veux venger ton père…
    Armand a reculé, avec une grimace affreuse, il disait non de la tête. Alors Clapton, un autre membre du gang Tutsi, s’est approché :
   – Chef, laisse plutôt le petit Français nous prouver qu’il est bien avec nous.
   Innocent a souri, étonné de ne pas avoir eu l’idée lui-même. Il s’est approché de moi, le Zippo allumé à la main. Mes tempes et mon cœur battaient à tout rompre […] Innocent a refermé ma main sur le briquet. Il m’a ordonné de le jeter. L’homme qui était dans le taxi me regardait avec intensité. Mes oreilles bourdonnaient. Tout devenait confus. Les jeunes du gang me bousculaient, me frappaient, hurlaient près de mon visage. Innocent s’est énervé, a dit que si je ne le faisais pas, il irait lui-même dans l’impasse s’occuper de ma famille. Je voyais l’image paisible de Papa et Ana allongés sur le lit, devant la télévision. L’image de leur innocence, de toutes les innocences de ce monde qui se débattaient à marcher au bord des gouffres. Et j’avais pitié pour elles, pour moi, pour la pureté gâchée par la peur dévorante qui transforme tout en méchanceté, en haine, en mort. En lave. Tout était flou autour de moi, les vociférations s’amplifiaient. L’homme dans le taxi était un cheval presque mort. S’il n’existe aucun sanctuaire sur terre, y en a-t-il un ailleurs ?
   J’ai lancé le Zippo et la voiture a pris feu. Un immense brasier s’est élevé vers le ciel, a léché les hautes branches des kapokiers. La fumée s’échappait par-dessus la cime des arbres. Les cris de l’homme déchiraient l’air. J’ai vomi sur mes chaussures, et entendu Gino et Francis me féliciter en me tapotant le dos. Armand pleurait. Il pleurait encore, recroquevillé comme un fœtus dans la poussière, bien après que tout le monde eut quitté le terrain. On s’est retrouvés seuls devant l’épave calcinée. Le lieu était calme, presque serein. La rivière coulait en bas. Il faisait quasiment nuit. J’ai aidé Armand à se relever. Il fallait que l’on rentre chez nous, à l’impasse. Avant de partir, j’ai fouillé la poussière, les cendres. J’ai retrouvé la carte d’identité de l’homme qui venait de mourir. L’homme que j’avais tué.

Gaël Faye, Petit Pays, Editions Grasset, 2016, extrait du chapitre 29.

Document 2. Bande annonce du film Petit pays d’Eric Barbier (2020)
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